Depuis fin août, les Brésiliens se retrouvent privés d’accès à X, l’ex-Twitter. Cette suspension découle du refus d’Elon Musk de se plier aux décisions de la Cour Suprême brésilienne. Alors que les négociations progressent lentement entre les deux parties, des questions plus profondes émergent, notamment sur l’influence de Musk et son soutien à l’extrême droite brésilienne.
La genèse du conflit : Musk contre Moraes
Le conflit a véritablement éclaté en avril lorsque Musk a révélé publiquement des demandes d’informations confidentielles émises par le gouvernement brésilien. Ces requêtes visaient notamment à obtenir des informations sur certains utilisateurs de X impliqués dans la diffusion de fake news. Au lieu de coopérer, Musk a levé toutes les restrictions imposées par les tribunaux sur des comptes ayant diffusé de la désinformation, certains étant liés à des figures de l’extrême droite brésilienne. En réponse à cette action, le juge Alexandre de Moraes a ouvert une enquête formelle sur Musk, l’accusant de faciliter la désinformation organisée à des fins politiques.
Un exemple marquant de cette désinformation concerne les fausses allégations de fraude lors de l’élection présidentielle brésilienne, largement relayées sur la plateforme. Moraes a ensuite exigé que X désigne un représentant légal au Brésil, comme l’exige la loi locale. En réaction, Musk a pris une décision drastique : il a fermé les bureaux de son entreprise dans le pays, abandonnant ainsi toute présence physique au Brésil. Ce retrait soudain a conduit le 30 août à la suspension de X, la Cour suprême ayant estimé que l’entreprise violait gravement les lois brésiliennes, notamment en matière de régulation des plateformes numériques.
Les enjeux économiques et politiques pour Musk
Musk ne s’est pas limité à un simple bras de fer judiciaire. Son soutien à l’extrême droite brésilienne, et en particulier à l’ancien président Jair Bolsonaro, soulève des préoccupations. En septembre, il s’est montré provocateur, critiquant publiquement la Cour Suprême et le président brésilien actuel.
The tyrant, @Alexandre, is dictator of Brazil. Lula is his lapdog. https://t.co/svONz3iv5S
— Elon Musk (@elonmusk) August 29, 2024
Le tyran, @Alexandre, est le dictateur du Brésil. Lula est son toutou.
Ses déclarations comme ont enflammé les débats, mobilisant des personnalités politiques et des influenceurs de droite.
Cette situation n’est pas isolée. Musk s’est souvent aligné avec des figures politiques controversées. En Argentine, il entretient une relation cordiale avec le président Javier Milei, partageant une vision commune sur l’importance du développement technologique. Au Brésil, Musk bénéficie de la popularité de son service Internet par satellite Starlink, utilisé aussi bien par les populations isolées de l’Amazonie que par les forces armées brésiliennes.
Musk : défenseur de la liberté ou opportuniste ?
Certains estiment que Musk défend la liberté d’expression, mais d’autres y voient une stratégie purement commerciale. Il a déjà bloqué des contenus à la demande de gouvernements conservateurs, ce qui montre une certaine flexibilité selon les intérêts économiques en jeu. Les critiques suggèrent que son soutien à l’extrême droite brésilienne découle d’une volonté de promouvoir un capitalisme dérégulé, plus favorable à ses activités.
Les conséquences potentielles pour le Brésil et X
Le conflit entre Musk et la Cour Suprême brésilienne dépasse le simple cadre juridique. En refusant de se soumettre aux réglementations locales, Musk remet en question la capacité des nations à réguler les grandes entreprises technologiques. Un groupe d’intellectuels, dont l’économiste Mariana Mazzucato, a publié une lettre dénonçant cette ingérence, affirmant que cela sapait les efforts visant à construire un paysage numérique souverain et centré sur le développement social et économique local.
En parallèle, la suspension de X profite aux réseaux sociaux concurrents. Par exemple, Bluesky aurait enregistré des millions de nouveaux utilisateurs brésiliens depuis le blocage de la plateforme. Ce regain de popularité pour des alternatives démontre que la stratégie de Musk pourrait comporter des risques financiers à long terme, notamment après la perte de 71% de la valeur de X depuis son acquisition.
Musk : entre pragmatisme et idéalisme
Le comportement de Musk dans cette affaire peut être interprété de plusieurs façons. Selon certains observateurs, comme le spécialiste du droit numérique Luiz Augusto D’Urso, Musk cherche à se positionner comme un martyr, prêt à sacrifier une partie de son empire pour dénoncer un système judiciaire qu’il juge oppressif. En réalité, qu’il plie ou non face à la Cour Suprême, Musk pourrait sortir gagnant de cette confrontation. Soit il cède et se présente comme celui qui a résisté, soit X reste banni et il devient le symbole d’une prétendue persécution politique.
Cette situation montre combien la question de la régulation des entreprises technologiques par les gouvernements est complexe. Alors que le Brésil tente de défendre sa souveraineté, Musk, lui, teste les limites de son pouvoir global. Les prochains mois révéleront si ce bras de fer prendra fin ou s’il continuera de transformer le paysage numérique et politique du pays.